vendredi 2 mai 2008

Agatha, MD

La scène commence par un long silence pendant lequel ils ne bougent pas. Ils se parleront dans une douceur accablée, profonde.

LUI. - Vous aviez toujours parlé de ce voyage. Vous avez toujours dit qu'un jour ou l'autre l'un de nous deux devrait partir.

Temps. Elle ne répond pas.

LUI. - Vous disiez : "Un jour ou l'autre il le faudra." Rappelez-vous.
ELLE. - Nous avons toujours parlé de partir, toujours il me semble, quand nous étions des enfants déjà. Il se trouve que je suis celle qui le fera.
LUI. - Oui. (temps) Vous en parliez comme d'une obligation qui aurait dépendu de notre seule volonté. (temps)
ELLE. - Je ne sais plus. Je ne me souviens plus bien.
LUI. - Oui...

Silence

LUI. - Vous disiez que si lointaine qu'elle soit il nous faudrait provoquer cette obligation de nous quitter, qu'un jour il faudrait choisir une date, un lieu, et s'y arrêter, et ensuite faire de telle sorte qu'on ne puisse plus empêcher le voyage, qu'on le mette hors d'atteinte de soi.
ELLE. - Oui. Je me rappelle aussi, oui, qu'on aurait dû, de même, décider d'un nom, du nom de quelqu'un qui devrait accompagner le voyage, partir avec nous.
LUI. - Pour justement qu'il vous empêche de le remettre à plus tard ? Plus tard encore ?
ELLE. - Peut-être. Oui.

Temps.

ELLE. - C'est un homme très jeune. Il doit avoir l'âge que vous aviez sur cette plage. (temps) Vingt-trois ans, je crois me souvenir.

Pas de réponse. Silence. Elle regarde par la fenêtre.

ELLE. - La mer est comme endormie. Il n'y a aucun vent. Il n'y a personne. La plage est lisse comme en hiver. (temps) Je vous y vois encore. (temps) Vous alliez au-devanr des vagues et je criais de peur et vous n'entendiez pas et je pleurais.

Silence. Douleur.

LUI (lenteur). - Je croyais tout savoir. Tout.
ELLE. - Oui.
LUI. - Tout avoir prévu, de tout, de tout ce qui pourrait survenir entre vous et moi.
ELLE (bas, comme un écho). - Oui.
LUI. - Je croyais avoir tout envisagé... tout... et puis, voyez...

Silence. Il ferme les yeux. Elle le regarde.

ELLE. - La douleur, non, ce n'est jamais possible.
LUI. - C'est ça... jamais... on croit la connaître comme soi-même et puis, non... chaque fois elle revient, chaque fois miraculeuse.

Silence.

ELLE. - Chaque fois on ne sait plus rien, chaque fois... devant ce départ par exemple... on ne sait plus rien.
LUI. - Oui (temps) Et tu vas partir.
ELLE. - Oui... sans doute... oui...

Silence. Ils se regardent.

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